MTV : le rideau tombe sur la star de l’ombre

MTV : le rideau tombe sur la star de l’ombre

C’est annoncé depuis une semaine : MTV Europe ferme ses antennes annexes, préférant conserver un canal unique, désormais dédié principalement aux émissions et à la télé-réalité, un virage amorcé au milieu des années 2000 et qui aura peu à peu éclipsé l’art du clip vidéo.

MTV, c’était l’emblème d’une génération, mais aussi le totem d’une industrie alors à son apogée. Fer de lance et médium de choix de la pop décadente, la chaîne a été le vecteur mondial du show, du grandiose et du rêve.

De la première diffusion de Thriller aux débuts de Britney Spears en écolière, en passant par son fameux Blackout sur Gimme More et sa rivalité avec Christina Aguilera, MTV a façonné les carrières. Beyoncé y a construit son destin, tandis que les boys bands se succédaient, des Backstreet Boys à N’SYNC. Rihanna a évolué de « good girl » à « bad girl », Mariah Carey a expérimenté styles et genres, et des groupes comme Metallica, Guns N’ Roses, Linkin Park ou Bon Jovi se sont pliés aux rituels sacrés du clip vidéo, autrefois appelé scopitone.

À l’époque, c’était le moyen, au-delà de la radio et du plateau télé, de se faire connaître, mais surtout de se faire voir. À quoi il ressemble ? Que dit cette musique ? Comment fait-elle écho chez moi ?

Et c’est toute une génération qui a passé des heures devant la télévision, non pas à s’abrutir comme le prétendait la génération précédente, mais à rêver, danser, chanter, en lien direct avec ces stars, devenant ainsi témoin privilégié de ce que l’on appelle aujourd’hui l’âge d’or du divertissement.

Car si MTV signifie Music Television, la chaîne sera aussi le socle de l’avènement des nouveaux visages de la pop culture : The Real World, Jersey Shore, Jackass, TRL, Daria puis les émissions de relooking ou encore de speed dating. Elle proposait une multitude de contenus et touchait une audience de niche, mais surtout une audience jeune, qui allait devenir adulte et décideuse, et qui, sans le savoir, allait dicter les nouveaux codes de la culture et du divertissement.

Cette prolifération d’émissions, combinée à la mutation de l’industrie musicale et à l’émergence de nouveaux artistes, poussera la chaîne à se démultiplier, petites sœurs pour les plus rockeurs, les plus pop, les amateurs de RnB ou encore les nostalgiques.

Tout ce qui se faisait de mieux était réuni sur ce canal pour nous proposer ce que nous qualifions aujourd’hui de « culte ».

Mais alors, comment expliquer ce revirement ? Les facteurs sont multiples, et les plateformes de divertissement le sont encore plus.

Nous préférons désormais suivre nos stars de près sur les réseaux sociaux, consommer des extraits de concerts en format court, streamer la dernière nouveauté, ou nous cacher pour écouter nos morceaux les plus gênants, sans plus vraiment prendre le temps de regarder des clips. Les artistes l’ont compris, ils proposent de moins en moins de projets visuels ambitieux, préférant affirmer leur univers à travers des performances live toujours plus majestueuses et fédératrices.

Et YouTube dans tout ça ? Il semble être le dernier gardien du format, toujours plébiscité par ses spectateurs, qui continuent d’apprécier ces vidéos devenues partie intégrante du projet artistique. Mais même là, les investissements diminuent, et les clips se font de plus en plus rares, illustrant le paradoxe : le médium qui avait permis à tant de stars de briller est désormais menacé par son propre succès et l’évolution des usages.

C’est donc bien l’ironie de cette histoire cannibale : video killed the video stars.

Pour autant, tout n’est pas perdu. Spotify, emblème du streaming, propose désormais des formats vidéo, et les clips, autrefois célébrés lors des MTV Video Music Awards, continuent d’exister. Reste à savoir comment les nouvelles générations s’approprieront ce format, mais avec la nostalgie, le retour aux années 2000 et le besoin toujours présent d’être diverti, tout n’est peut-être pas perdu.

Anne-Charlotte Villate